// DRAPEAUX

Extrait de l’entretien avec Gilles Perlein, Nice, 2005, réalisé à l’occasion de l’exposition « Les Raynaud de Raynaud », MAMAC.
Gilles Perlein : « Le fait de présenter un drapeau comme un à-plat tendu sur un châssis nous amène de la perception d’une bannière « expressionniste » à la limite du color-field painting. Est-ce que pour toi dans cette redistribution et dans cette appropriation il y a stricte équivalence d’un drapeau à l’autre, ou bien est-ce que tu gardes des hiérarchies, un système de valeurs internes ? »
Jean Pierre Raynaud : « Voilà comment ça s’est passé. En 1998, je réalise mon premier drapeau, il est français, d’instinct je n’ai même pas pensé aux autres. Étant absolument certain que j’allais travailler toute ma vie avec lui puisque celui-ci rencontrait ma mémoire et mon histoire. De plus, j’avais une très grande admiration pour Mondrian. Rester sur ces trois couleurs jusqu’au dernier jour de ma vie, c’était mon rêve. Comme, en plus j’adore la sérialité, pour ne pas dire la répétition (on le voit avec les pots), j’avais trouvé mon équilibre dans une attitude presque zen. Il sera ainsi montré dans ma rétrospective à la Galerie du Jeu de Paume, à Paris, comme un manifeste qui signifiait : voilà ce que je fais  aujourd’hui. Brutalement, un an plus tard, ce drapeau français ne me suffit plus et mon ambition me pousse à rencontrer tous les drapeaux internationaux. Moi, introverti, qui avait construit des forteresses en béton, je me surprends à faire exploser ces certitudes en faisant finalement tout le contraire. C’était tellement nouveau et j’ai pensé qu’au moins la destruction de La Maison aura servi à quelque chose. Tout ce que je m’étais interdit était accessible immédiatement.
Évidemment, il me fallait faire face au monde des autres : la compétition, l’agressivité, car je n’étais plus protégé par la céramique, ce filet de protection mis en place, mais je m’en sentais capable grâce à cet objet individuel et collectif. Et puis, quitte à être dans le monde extérieur, autant être happé par lui, avec sa dimension politique, les malentendus, et même la calomnie qui est son corollaire. Ici, je me retrouve témoin de situations en perpétuel mouvement, avec la nécessité d’être toujours en retrait de la logique morale dans laquelle je peux être enfermé. La rencontre avec Castro était particulièrement significative, elle a placé chacun devant le fait d’être capable ou incapable de se trouver justement sur le terrain de l’art ».